- Ah bon, tu n’es plus chef ? Mais ta formation de 9 mois à l’autre bout de la France? Tes stages ? Ton déménagement ? Ton CAP de pâtisserie accroché au mur ? Tes 32 Kitchenaids? Et tous ces gens à qui tu as parlé de ta reconversion tu vas leur dire quoi ?
-Eh bien que j’ai raté ma première reconversion professionnelle pour mieux me reconvertir une seconde fois.
- Encore une fois?
- C’est ça oui, encore une fois.
Étape n1 - Quitter son job de cadre corporate à la Défense
C’était il y a plus de 7 ans : janvier 2017.
Économiste depuis 17 ans, cadre ayant réalisé une grande partie de mon parcours professionnel au sein des départements fiscaux de multinationales, biberonnée aux PowerPoint, aux séminaires, aux business trips, aux présentations bouclées à pas d’heure et aux versions n°32 du budget, un beau matin, j’ai annoncé à mon employeur que je partais pour changer d’horizon professionnel.
Un départ sans perte ni fracas : carré.
Étape n2 - Élaborer un projet de reconversion parfaitement irréaliste afin de bien se planter
Entre l’annonce officielle et mon départ effectif : 9 mois.
C'est simple, j'avais TOUT prévu.
Presque une année entière passée à tout préparer, tout planifier (je ne suis pas économiste pour rien). Au final, quand j'ai quitté mon job de fiscaliste, j'avais devant moi un projet de reconversion en pâtisserie aux petits oignons.
Dans le détail, cela donnait ça :
Admission dans une école de pâtisserie ultra-réputée ? ✅
Stage préalable dans une pâtisserie tous les samedis matin aux aurores ? ✅
Déménagement à l’autre bout de la France ? ✅
Financement sur 2 ans (personnel et familial) ? ✅
👉 "Projet final?"
"Monter seule et sans aucun contact préalable ma pâtisserie à l'étranger "
(Fastoche)
👉"Et tu l’as bien annoncé à tout le monde ?"
Oh oui, ça c'est certain, je l’ai bien annoncé à tout le monde.
Et comme prévu, je suis partie à l’autre bout de la France pour 9 mois. Retour sur les bancs d’école, stages en palace, j’ai terminé ma formation, décroché mon CAP avec mention et… et j’ai commencé à douter. Ma formation était à peine terminée, j'ai commencé à me dire que ce n'était peut être pas ça que je voulais faire finalement.
Étape n3 : Douter et nier l'évidence
Ce doute, cette minuscule incertitude qui s’est insinuée dans mon esprit au moment où je revenais à Paris n’a cessé de grandir au fil des mois. Plus il prenait de la place, plus je le repoussais.
Non ce n’était pas possible, pas acceptable, pas avouable : je n’avais pas fait cela pour rien. Tout cet argent, tout ce temps, tous ces gens à qui j’en avais parlé, tout cet espoir, ce projet qui marchait si bien sur le papier, je n’allais quand même pas laisser tomber.
Je me suis rassurée comme j’ai pu, j’ai tenté de me convaincre que c’était tout à fait normal d’avoir des doutes bla-bla-bla, tout allait bien, pas d’inquiétude et j’ai continué à avancer.
Comme dans toutes les success stories vantées sur Capital le dimanche soir, j’étais ce cadre de la Défense reconvertie en chef pâtissière. Mon CV s’expliquait très bien, je ne pouvais pas rater, je ne pouvais pas m’être trompée. Point barre.
Étape n4 : S'enfoncer de plus en plus
Alors je me suis accrochée : j’ai monté une société (indice : mauvaise idée), j’ai mis pas mal d’argent dedans (deuxième mauvaise idée) et je me suis lancée.
J’ai donné des cours de pâtisserie chers sans quasiment en tirer de bénéfice (les coûts fixes sont un gouffre dans ce métier), j’ai donné des cours gratuits en pensant que j’y gagnerais de futurs clients (…18ème mauvaise idée), j’ai pâtissé des tonnes de croissants, de tartes, de macarons pour me faire connaître lors de soirées, de pique-niques, d’anniversaires, j’ai édité de belles cartes de visite qui finissaient par moisir au fond des portefeuilles (ou plus surement dans la première poubelle venue), j’ai dépensé un quart du capital de ma société dans un site internet (274ème mauvaise idée), imaginé un partenariat, inventé des recettes, etc. rien n’y faisait.
J’avais beau m’épuiser, cela ne fonctionnait pas et une des principales raisons de cet échec est restée très longtemps enfouie dans mon inconscient tant elle était difficile à accepter : cela ne marchait pas parce que je n’avais pas envie que cela marche, parce que ce n’était pas ce que je voulais faire.
Pendant 1 an et demi, je suis donc restée dans cet entre-deux.
Socialement, j'avais une place, une histoire à raconter, intérieurement, c'était une tempête.
Plus j’y pensais, moins j’aimais ce que je faisais et moins mon magnifique plan d’action à cinq ans m’enthousiasmait. Chaque jour le doute grandissait jusqu’à ce que la tempête intérieure devienne un ouragan.
Étape n5 : Craquer
C’était il y a plus de 5 ans : Mai 2019
Un jour, j’ai fini par craquer. Tant pis pour mon vernis social, mon égo et ma fierté mal placée, j’ai fini par enfin faire part de mes doutes à ceux en qui j’avais une confiance absolue.
J’ai commencé par tâter le terrain avec ma famille et certains de mes amis en abordant le sujet sous forme de plaisanterie, puis très vite cela n’a plus été drôle du tout (je me suis mise à pleurer devant mon verre de Chablis) et j’ai fini par le dire : « Je ne veux plus être chef pâtissière, ce projet de reconversion n’est pas ce que je veux, c’était une erreur ».
Le dire à haute voix a été un moment à la fois incroyablement libérateur et terriblement difficile. Je m’étais trompée, j’avais gaspillé une bonne partie de mes économies (ainsi que de l’argent investi par des membres de ma famille qui m’avaient fait confiance) je n’allais pas réussir dans ce métier et encore pire, je n’étais absolument pas certaine de ce que l’avenir me réservait. Et voilà, c'était fait : ma petite voix intérieure avait enfin été entendue et mon moi social s’était crashé.
Mais était-ce vraiment ce qu’il s’était passé ? Quel était le « moi social » qui s’était crashé ce jour-là ? Celui d’une cadre reconvertie avec succès dans la pâtisserie, prête à gagner son premier million dans les cinq ans ? Ce moi-là n’existait plus depuis longtemps, et avec le recul, je me suis rendue un immense service en me débarrassant de ce costume dont je ne voulais pas.
Étape n5 : Accepter que l'on s'est plantée et se poser les vraies questions
Libérée de cette étiquette, il m’a fallu plusieurs mois pour réaliser que je n’étais pas pour autant nulle part.
En admettant que ma première reconversion professionnelle avait été une erreur, j’ai réconcilié mon moi intime (ma certitude que cette carrière n’était pas celle qui me fallait) et mon moi social (je l’ai annoncé à tout le monde, publiquement, officiellement).
Ce jour-là, même si sur le papier, j'avais l’air complètement perdue professionnellement parlant, j’y ai gagné une légèreté et un soulagement que je peux à peine décrire : j’étais moi.
La prochaine étape m’a paru assez simple, j’allais éviter de retomber dans le piège de trouver tout de suite et maintenant une idée de carrière pour combler le vide professionnel et social qui me menaçait et j’allais me donner le temps de me poser véritablement la question de ce que je voulais faire de ma vie.
Aussi dingues et inatteignables qu’ils puissent me paraître, quels étaient mes désirs? Et pourquoi pas vérifier s’ils étaient vraiment aussi dingues et inatteignables que cela ?
Il m’a fallu encore quelques mois pour faire le tri, douter, comprendre et accepter que ce que je voulais réellement c'était être écrivain.
Je ne partais pas de nulle part puisque j'écris depuis que je suis toute petite et surtout, j'avais déjà un roman policier d'achevé qui attendait dans mes tiroirs depuis dix ans.
👉Et j'ai décidé d'autopublier mon roman policier et le résultat a dépassé mes espérances…
Étape n6 : Happy end
👉 Est-ce que j'ai complétement laisse tomber la pâtisserie?
Non, c'est tout simplement devenu une activité secondaire et je m'en réjouis.
La vie de freelance est faite de hauts et de bas, c'est un chemin professionnel intense pour ne pas dire autre chose. Certains jours sont plus faciles que d'autres et financièrement mon quotidien n'a plus rien à voir avec ma vie de cadre supérieure.
👉 Est-ce que je regrette ces 7 dernières années?
A aucun moment. Que je me sois plantée lors de ma première reconversion professionnelle n'a pas d'importance, aujourd'hui je suis ecrivain et c'est un tel bonheur que j'ai encore du mal a y croire .
La vérité c'est que je n'ai jamais été aussi heureuse.
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